Toulouse, le 9 Avril 2023 : Marche des Mutilés pour l’exemple

Le Dimanche 9 Avril 2023 se tenait à Toulouse la sixième marche de l’association des mutilés pour l’exemple.
Nous avons défilé de Jean Jaures jusqu’à la place du Fer à cheval, en passant devant le tribunal, pour témoigner des incapacités du système judiciaire à réparer les torts subis.
Nous étions accompagnés du réseau Vérité et Justice (Fatou, Awa) et des proches de Serge (gravement blessé à Sainte Soline).

Retrouvez notre entretien sur la radio CanalSud où nous avons longuement abordé les raisons de cette marche et la situation des victimes de violences policières :

La veille nous avons été accueillis par les camarades Gilets Jaunes de Muret que nous remercions chaleureusement.

À l’occasion des manifestations pour le climat et contre la réforme des retraites, le sujet des violences policières redevient massivement visible. De nouveaux blessés graves sont à déplorer chaque semaine.
Les citoyens s’aperçoivent qu’il n’y a pas de «si je suis prudent, il ne m’arrivera rien». Votre sort en manifestation dépend avant tout de ce qu’en décidera la police. Peut être que les mutilés gilets jaunes n’étaient finalement pas les casseurs tueurs de flics que le gouvernement a décrit. En quelques années, blesser un manifestant, qui était autrefois considéré comme un «dommage collatéral», est devenu un «moyen» parmi d’autres de répondre à un mouvement social. Ce nouveau moyen est assumé et banalisé par ses auteurs «allez-y franchement, ça les découragera de revenir samedi prochain».

L’épisode de Sainte-Soline en a été un exemple déchirant. Si l’on en croit l’Intérieur, il y avait un gendarme pour 2 manifestants et ils ont tiré 5000 grenades, soit presque une par manifestant. D’après les vidéos, ils ont tiré à l’aveugle au LBD depuis des quad et ont empêché la prise en charge des blessés.
Le résultat se compte en centaines de blessés, des dizaines gravement, et deux urgences vitales. Ce bilan est d’autant plus incroyable qu’il ne répondait à aucune nécessité. En l’absence de policiers, les manifestants auraient pu, tout au plus, abimer des monticules de terre. Or s’il n’y avait eu aucun policier, il n’y aurait eu aucun blessé. Est-ce qu’empêcher des manifestants de marcher dans une mega-bassine vide valait ce bilan humain ?
Oui, pour le gouvernement l’objectif n’était de protéger de la terre mais de réprimer un mouvement avant qu’il ne prenne de l’ampleur. D’où l’ouverture des hostilités par les policiers et la débauche de moyens.

Avec les LBD, l’état a habitué les forces de l’ordre à «tirer» sur la population. Ce geste symbolique brise un tabou. Les policiers nous voient comme des cibles, comme ceux de «l’autre camp», comme des ennemis.
Nous vivons dans un pays où l’on a peur de manifester, alors que c’est un droit fondamental. L’état terrorise les citoyens tout en arrivant à les traiter de terroristes. Plutôt que de traiter la fièvre, il a décidé de détruire les thermomètres, devant les yeux inquiets du reste du monde, qui nous voit devenir un état policier.
L’urgence climatique, l’urgence sociale sont priées de s’effacer devant une valeur cardinale : l’ordre.

Nous sommes « Les Mutilé.e.s pour l’Exemple » , une association à but non lucratif, constituée principalement de victimes de violences policières et de violences d’état.
Cet après-midi, nous marcherons à visages découverts et sans arme, comme nous avons marché le jour où nous avons été la cible de fonctionnaires armés, lâches et inconscients, mais conscients de leur impunité.
Nous sommes solidaires de toutes les victimes étatiques et apportons force et amour à chaque fois que cela sera nécessaire. Nous sommes solidaires avec les familles de victimes de violences policières et pénitentiaires, avec les quartiers populaires, les squatters, les zadistes et toutes celles et ceux qui ont du, un jour, être confronté à ces armes de guerre et ces comportements sadiques.

Nous avons marché à Paris, à Montpellier, à Bordeaux, à Amiens. Aujourd’hui, nous voulons témoigner plus précisément d’une réalité méconnue : le parcours judiciaire des victimes de violences policières.

Beaucoup croient encore que les amputés et les éborgnés ont touché des millions et n’auront plus besoin de travailler jusqu’à la fin de leurs jours.
La réalité est que la plupart n’ont rien touché, ne peuvent plus travailler, n’ont parfois plus de revenu, ne trouvent pas de soutien pour leurs procédures juridiques, ne peuvent s’offrir une aide psychologique pour leur traumatisme et ont vu leurs relations conjugales et familiales en pâtir.

Vous mettiez votre gilet jaune en 2018 car votre travail ne vous permettez plus de vivre décemment. Aujourd’hui vous n’avez plus de main, plus de travail, plus de conjoint et les gens vous traitent comme un coupable, alors que vous êtes victime.
Sans le soutien que nous nous donnons entre blessés, beaucoup n’hésitent pas à dire qu’ils ne seraient plus là aujourd’hui.

L’historique montre malheureusement qu’obtenir des réparations prend un temps complètement déconnecté du réel des victimes :

  • Février 2023 : L’État condamné à verser 72 900 € à un mineur éborgné lors d’une opération pendant le Mondial de Football en 2018 : 5 ans pour obtenir réparation !
  • Mars 2019 : L’État condamné à verser 47 700 € à Florent Castineira, éborgné pendant une opération en marge d’un match de Football en 2012 : 7 ans pour obtenir réparation !
  • Février 2023 : L’État condamné à verser 100 000 € à Joachim Gatti, éborgné par un LBD en 2009 dans une manifestation : 14 ans pour obtenir réparation !

Qui peut mettre sa vie sur pause pendant 5, 7 ou 14 ans pour attendre la justice ? Quand on ne peut plus travailler comme avant. Quand on a perdu le plus gros de ses revenus.
Certains ont pu obtenir des avances du Fonds de Garantie des Victimes des actes de. Terrorisme et d’autres Infractions (FGTI), qui s’élèvent parfois jusqu’à 30 000 €, en attendant que la procédure au tribunal administratif aboutisse (peut être) à une indemnisation. D’autres touchent l’allocation adulte handicapé (AAH) mais qui ne suffit pas pour vivre.

Et encore, ceci ne concerne que ceux qui sont assez robustes pour entrer dans la machine juridique.
Aller porter plainte contre la police en allant au commissariat … n’est pas la première expérience que vous avez envie de vivre quand ils vous ont mutilé. Pour surmonter cette difficulté, il faut souvent un gros soutien de l’entourage, sinon on repousse à un futur hypothétique : « plus tard quand on ira mieux ».
Pour beaucoup, se reconstruire nécessite de rester loin de tout ce qui leur rappelle la blessure, donc des policiers, donc des tribunaux. Or à quelques détails près, les blessés ont seulement 3 ans pour saisir la CIVI et 4 ans pour saisir le tribunal administratif. En 2023, de nombreux blessés vont donc voir leurs possibilités de réparation s’éteindre et par là même, leur chance d’obtenir la reconnaissance que l’état était coupable et qu’ils étaient victimes.

De plus, le processus juridique à entreprendre ne vous est pas clairement donné lorsque vous portez plainte. Vous rentrez dans une procédure pénale, sans forcément savoir que ce n’est pas là que vous obtiendrez réparation : le pénal s’occupe de punir l’auteur, pas des indemnisations aux victimes.
À cette étape, il y a déjà de quoi se décourager : classement sans suite et non lieu sont la norme. Les policiers ne sont presque jamais identifiés. Quand ils le sont, on leur inflige une amende dissuasive de 1000€ avec sursis, sous forme de contravention (donc non inscrite au casier). De nombreux blessés peuvent alors croire que leurs recours juridiques s’arrêtent là.
En fait non, les réparations s’obtiennent à la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) ou au tribunal administratif en poursuivant non pas le policier mais l’état. Pour le savoir, il faut avoir pu être bien conseillé par un avocat. Mais les avocats c’est cher. Il y en a des supers et nous les remercions, mais ils sont rares. Nombre d’entre eux proposent de vous aider, mais finissent par vous laisser en silence radio. Ils laissent pourrir nos dossiers, sans nous le dire. Interrogez les mutilés et vous verrez qu’ils ont souvent du changer 2 ou 3 fois d’avocat. Et ces pertes de temps peuvent être graves par rapport aux délais de prescription.

Si vous avez eu la chance d’être aiguillé vers la bonne procédure, et à temps, vous faites quand même face à trois difficultés. La première est la lenteur du système judiciaire (pour les pauvres en tout cas).
La seconde est l’aspect « casino » de la justice. On vous explique que chaque juge a son « style » et que selon que vous tombiez sur le bon ou pas, ce sera noir ou blanc. Vous êtes souvent choqué de découvrir la prédominance de la subjectivité dans les décisions, ce côté « jet de dé aléatoire ».
La troisième est la violence institutionnelle de la procédure. Lorsque vous tentez de vous reconstruire, vous vous passeriez bien d’assister à des audiences où la partie adverse vous décrit comme un tueur de flic ou une dangereuse séditieuse qui n’a eu que ce qu’il ou elle méritait, alors que vous n’étiez qu’un citoyen en train de marcher.

À tous ceux qui pensent que les éborgnés, les édentés, les amputés sirotent maintenant des pina colada au club med, en étant rentiers à vie, nous voulons rappeler qu’à l’heure actuelle, UN SEUL des Mutilés pour l’Exemple, de la période des gilets jaunes, a été jusqu’à une condamnation de l’État , Dylan éborgné en 2019 par une grenade :

L’État a été reconnu responsable au 2/3 et Dylan s’est vu proposé une indemnité de 60 000 €. Il n’a pas encore décidé s’il ferait appel.

À tous les blessés, d’hier et d’aujourd’hui, si vous avez besoin de parler, de soutien moral, de conseils sur les procédures médicales et juridiques, n’hésitez pas à nous contacter (via le site lesmutilespourlexemple.fr, via facebook, etc). Il n’y a pas besoin d’adhérer à l’association.

Face au nombre de blessés graves qui dépasse maintenant le millier et devant la lenteur des procédures qui prennent au moins 5 ans, nous n’avons pas 5000 ans devant nous pour recevoir un semblant de justice.

Nous réitérons ici nos revendications :

Premièrement, la priorité absolue est de cesser de provoquer de nouvelles blessures. Retirez les armes de guerre qui n’ont rien à faire dans les mains de la police : la population n’est pas un «ennemi». La plupart des démocraties dignes de ce nom n’utilisent pas ces armes et ça se passe très bien. Il n’y a rien à inventer, juste à copier les bons élèves et pas les dictatures.
Deuxièmement, avant de réparer les torts, il faut reconnaitre qu’il y a eu des torts. Nier les violences policières est insupportable dans un état de droit. Une parole gouvernementale doit reconnaître qu’il y a bien eu des violences policières et doit faire en sorte de les dissuader : avoir des vrais moyens de les identifier et des vraies sanctions quand elles sont avérées.
Enfin, pour toutes les victimes de ces armes de guerre, de ces pratiques illégales, de ces violations des droits, nous réclamons un statut de victime de facto et automatiquement associé à une réparation cohérente avec les dommages subis.

Retrouvez nos différentes prises de parole sur notre chaine Youtube:

L’organisation de cette marche a été considérablement facilitée par nos camarades de Solidaires 31 que nous remercions chaleureusement.

4 thoughts on “Toulouse, le 9 Avril 2023 : Marche des Mutilés pour l’exemple”

  1. Soutien pour ceux qui ont subi l’outrage pour s’être exprimé en dénonçant taxatures et impostures.
    J’essayerai d’être présent pour l’événement.

  2. Bonjour, Bruno gilet jaune toulousain depuis le 17 novembre 2018, soutien votre cause.

    Si vous avez besoin d’une sono pour la marche à Toulouse le 9 avril, faites moi signe.

  3. Bonjour,
    Merci pour les mutilés.
    Nous avons pensé la partager sur FB, les GJ de Toulouse ne déclarent pas leur manif. Mais d’autres types de manifestants souhaiteront peut-être savoir si la marche est déclarée
    Pouvez-vous me donner la réponse svp.
    Merci.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *