Lola, 19 ans, étudiante, a été victime d’une triple fracture à la mâchoire par un tir de LBD lors de la manifestation gilets jaunes contre le G7 à Biarritz (le 18 décembre 2018).
Lola fait partie de cette longue liste de personnes dangereuses, mutilées par des armes de « légitime défense » (tout comme le vieux de 70 ans qui était à la clinique en même temps qu’elle pour un flashball reçu dans le dos).
Saurez-vous identifier Lola entre ces deux photos (indice: Lola ne roule pas en Harley Davidson) :
Lorsqu’elle ne met pas lâchement en danger la vie des policiers, Lola filme des manifestations avec la caméra de son école (l’École supérieur des arts du pays basque des Rocailles). Ce jour-là, debout sur un banc, surplombant la scène pour sa prise de vue, Lola est touchée au visage. « C’est tellement rapidement que le bruit vient après. Un son assez lourd ».
Lola a une triple fracture de la machoire, elle a perdu 2 dents, eu 40 points de suture et 45 jours d’ITT (elle subira en tout 3 opérations)
Lola témoigne d’une certaine sidération devant ce qui lui est arrivé. Tant au niveau du risque : « Ce que je n’ai pas compris, c’est que je me sentais en sécurité, justement parce que j’étais seule, que je n’étais pas dans un groupe, perdue. J’étais en évidence, en hauteur… J’étais visible […] Comment est-ce possible que ce soit une balle perdue, surtout d’un flash-ball, dans la tête ? Alors que j’étais en hauteur, sur un banc. Je ne comprends pas comment c’est possible de ne pas avoir été visée ».
Que du comportement des forces de l’ordre : « J’ai vu qu’ils étaient super nombreux, ils étaient sur les toits, armés jusqu’aux dents, cagoulés… Ils étaient casqués… Ils étaient super impressionnants, comparé à nous. Il devait y avoir cinq personnes qui couraient sur le sable pour essayer de passer. C’était ridicule. Nous, nous n’étions pas armés du tout, il ne pouvait rien se passer ».
Lola va se rétablir progressivement des blessures physiques « Le plus dur, ça a été avant l’opération et deux jours après. J’étais vraiment déformée. Ce n’était pas facile de se regarder dans la glace… » et va aussi devoir faire face aux blessures psychologiques : le sentiment d’injustice et d’impuissance (on n’a rien fait de mal et il nous arrive ça et on ne peut rien faire), la culpabilité que nous transmettent les autres …
Car oui, pour ceux qui ne le savent pas, quand on est mutilé par la police, beaucoup de gens ont un à priori négatif sur nous : « si elle a été blessé par la police c’est qu’elle a fait quelque chose de mal, puisque la police combat les méchants ». Donc pendant qu’on essaye de se rétablir, on doit composer avec des messages pas du tout destructeurs :
Heureusement, Lola a pu compter sur le soutien du Maire : « Il s’est présenté comme le maire de Biarritz. Il m’a regardée, avec ma gueule défoncée, et il a haussé les épaules. A un moment, il m’a dit qu’il n’avait rien à se reprocher, que ce n’était pas de sa faute si ça s’était passé comme ça« .
Lola va déposer une plainte.
En juin 2020 (donc 1 an et demi plus tard) on apprend qu’un policier sera jugé pour « violences involontaires » par le tribunal correctionnel de Bayonne.
On lira que « L’enquête de la police des polices a permis d’identifier le tireur présumé », « L’enquête de l’IGPN et de la justice aboutie donc à un procès ». Autant d’envolées lyriques sur la fiabilité de notre système judiciaire que ni le vent, ni les tempêtes ne sauraient empêcher de découvrir la vérité.
Bon en fait le fonctionnaire de police s’est dénoncé lui-même… Dans les cas où ils ne le font pas (les autres 99% de plaintes par les mutilés gilets jaunes), les enquêtes sont étrangement bien moins flamboyantes en termes de résultats. Et encore il a fallu 1 an et demi, à croire que l’enquête à consisté à vérifier qu’il ne mentait pas « vous êtes vraiment sûr que c’était vous ? si ça se fait vous avez confondu un éternuement avec un tir, on ne sait jamais dans ces moments là ».
Certains articles relayaient une mise en cause initiale pour » violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ayant involontairement causé une incapacité totale de travail (ITT) inférieure ou égale à trois mois », un délit passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Le 26 Juin 2020, le fonctionnaire de police est finalement condamné à 1.350 euros d’amende pour « violences involontaires » (une contravention et pas un délit, non inscrit au casier judiciaire donc). Il a déclaré qu’il « n’a jamais voulu viser Lola ». Après l’audience, il s’est entretenu avec elle afin de lui exprimer ses regrets.
L’avocate de Lola disait esperer que ce soit le procès des violences policières… ça n’a pas vraiment été l’ambiance.
Lola (membre du collectif des mutilés) nous faisait part de son sentiment général de ne jamais s’être sentie légitime au procès. Il n’y a pas eu de figure étatique pour lui dire « oui vous êtes une victime de quelque chose qui n’aurait pas du arriver » et encore moins « et nous allons faire en sorte que ça n’arrive pas à d’autres ».
Elle a eu droit au syndicat Alliance qui lui a expliqué qu’il fallait penser au policier aussi, qui allait être traumatisé d’avoir défiguré une gamine (c’est vrai ça qu’est-ce qui peut être pire que la culpabilité d’avoir cassé une machoire ? ah si je sais : s’être fait casser la machoire). Le policier en question qui lui a expliqué qu’heureusement qu’il s’était dénoncé sinon ils n’auraient jamais retrouvé le tireur (je pense qu’il attendait un merci à ce moment là). Donc c’est grâce à lui que le procès s’est tenu (c’est aussi à cause de lui à la base, il a tous les premiers rôles décidément).
Globalement tout le procès transpirait le fait de dire « vous voyez le système marche comme il faut, quand il y a une erreur, elle est corrigée ». Aucune remise en question plus générale donc. Les mutilés des manifestations gilets jaunes seraient les conséquences de défaillances individuelles et isolées, pas d’une doctrine.
La disproportion de l’usage de ces armes n’a pas été abordée, la disproportion de l’engagement des forces de l’ordre non plus, la disproportion des blessés graves non plus, la disproportion des cas où les enquêtes n’aboutissent pas non plus. Tout ce qui tend à montrer qu’il y a un problème systémique a été mis sous le tapis. C’était une erreur isolée, un moment d’égarement, le policier a reconnu sa faute, tout est bien qui finit bien. Et dans la salle du tribunal planait l’ombre de twitter : « en même temps si les gens n’allaient pas manifester ça n’arriverait pas »