Tribune des Mutilé.e.s pour l’élection présidentielle

Ce dimanche 3 avril, une semaine exactement avant l’élection présidentielle, une marche des Mutilé.e.s pour l’exemple a défilé à Paris pour visibiliser une partie du bilan d’Emmanuel Macron : 4 décès, 7 mains arrachées, 36 yeux perdus, 964 blessés graves, 27 800 blessés (6 manifestants sur 1000) lors des mouvements des Gilets Jaunes et contre la réforme des retraites [1][2].

Cette marche a aussi rassemblé l’assemblée des blessés et les familles de personnes tuées par la police ces dernières années : Adama Traoré, Cédric Chouviat, Wissam El Yamni, Lamine Dieng, Babacar Gueye, Claude Jean-Pierre, Ibrahima Bah, Matisse et Selom.

Nous avons tenu à rappeler ce bilan devant les éléments de langage qui se répandent dans la campagne : “Macron n’a pas eu de chance quand même, il a eu les Gilets Jaunes, le COVID et la Guerre”.

Macron a créé et fait perduré les gilets jaunes ! En faisant payer les baisses de cotisations sociales du CICE par une augmentation de la taxation du carburant [3], en refusant le RIC (soutenu par près de 80% de l’opinion [4]), en transférant de la richesse des plus fragiles (baisse des APL) vers les plus aisés (fin de l’ISF), pendant 5 ans, en insultant et en méprisant régulièrement les plus pauvres.

Il a fait de la France un pays où manifester est devenu dangereux pour sa vie. Il n’y a pas tant de pays dans le monde qui en sont là et ce ne sont pas ceux où vous voulez vivre.

Devant ce bilan, nous les Mutilé.e.s pour l’Exemple, avons voulu rappeler ce qu’a été notre réalité, gravée dans nos chairs, de ce quinquennat :

“Nous sommes des mutilés du mouvement gilet jaune. Nous sommes seulement quelques uns parmi les 964 blessés graves. Ces 964 blessés n’ont pas été 964 erreurs regrettables et encore moins 964 cas de légitime défense.

Nous n’avons pas été les victimes de la malchance ou de la fatalité mais d’un système, d’une doctrine, que l’on pouvait entendre transpirer, ici et là, parmi les uniformes bleus : “tirez dans le tas, ça fera réfléchir les autres”, “allez y franco, ça les découragera de revenir samedi prochain”.

Ce système a été celui d’armes de légitime défense utilisées pour agresser, de nasses sans porte de sortie, de grenades explosives envoyées au mépris des distances réglementaires. Ce système a été celui des yeux éclatés, des mains arrachés, des pieds fracturés de personnes désarmées. Ce système a handicapé à vie des femmes, des vieux, des pompiers, des militaires, des soignants, … ceux-là même qui sont la colonne vertébrale de notre société, qui s’occupent des autres, et ils les ont appelé “casseurs”.

Car le mouvement des gilets jaunes était un temps où éborgner quelqu’un était justifiable s’il avait cassé une vitre (sauf que les vitres ça se répare). Foncer en voiture sur quelqu’un était légitime s’il bloquait la circulation (sauf que le retard, c’est pardonnable). C’était aussi un temps où un président élu par 40% des inscrits pouvait refuser une revendication plébiscitée par 80% des français (comme le RIC) car c’est lui le chef. Un temps où boxer seul, à mains nues, contre 3 personnes armées c’était être un lâche. Un temps où l’on menait des manifestants, inconnus des services de police, en comparution immédiate puis en prison, alors que les procès des mutilations prennent des années et les condamnations sont encore plus rares qu’un matricule RIO visible en manifestation.

Toutes ces choses-là étaient “supportables” dans un état de droit.

Et pourtant, pour nombre de gilets jaunes, revenir samedi prochain était la seule alternative. La seule alternative à une chute lente et insidieuse dans la pauvreté. Celle de ceux qui travaillent et dont le compte en banque arrive dans le rouge un jour plus tôt chaque mois.

Tous ces gens, privés de perspectives, privés d’alternatives, sommés de payer un surplus de taxe sur l’essence (qui ressemblait un peu trop au montant perdu par le CICE), n’ont pourtant pas pris les armes. Ils ne sont pas rentrés dans une boucherie qui aurait opposé les pauvres en jaune et les pauvres en bleu. Mais ils ont été victimes d’armes de bouchers.

Ils ont arrêté de scander “la police avec nous !”, ils sont revenus, samedi après samedi, à 100 000 ou à 100, en attendant patiemment le moment où la police serait débordée, exténuée et plus assez nombreuse pour empêcher qu’on vienne chercher celui qui nous y avait invité. Macron aurait alors été forcé d’écouter la voix de ceux qui ne sont rien. De toute façon, c’était enfiler son gilet jaune ou accepter de périr à petit feu.

La police a effectivement été débordée, exténuée, mais ses agents ont continué de venir, alors qu’ils étaient à bout. L’excès, la violence gratuite, le sadisme sont devenus la coutume. Les gilets jaunes ont payé, dans leur chair, le prix des fautes professionnelles des policiers. L’État les a rendues inaudibles, les a laissées impunies et a continué d’encourager des manœuvres meurtrières. La France est devenu un pays où l’on a peur d’aller manifester (nous plaçant entre l’Irak et Hong Kong) ! Mais qui donne quand même des leçons de démocratie aux autres.

Castaner mobilisait la police chaque samedi, jusqu’à épuisement, leur disant que c’était la faute des gilets jaunes. Et ils ont détesté les gilets jaunes pour ça. Alors qu’il aurait suffit que Macron donne au peuple son dû pour tout arrêter : de la démocratie et de la justice sociale.

Au lieu de la démocratie nous avons eu les cahiers de doléances du peuple à son bon roi. Au lieu de la justice sociale, nous avons eu un bon d’achat, qui sera au final sur la note de ceux qui payent leurs impôts, une pratique qui est d’ailleurs très peu prisées des sponsors de campagne d’Emmanuel 1er.

La fin de ce mouvement n’existe que dans la bouche des medias qui s’en sont lassé. Car en fait, il y a toujours, 3 ans après, des français qui enfilent leur gilet le samedi, à 10 sur un rond point de campagne, parce que rien n’a changé.

Macron nous a fait la guerre et nous n’avons plus nos deux yeux pour pleurer.”

Crédit photo : Rudy Burbant et Le Mur Jaune.

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